Les NFT ont un succès fulgurant sur le marché international de l’art, suscitant des débats enflammés et des prix de plus en plus élevés. Nous avons voulu en savoir plus sur ce phénomène, et qui de mieux pour répondre à nos questions que Julien Pradels, directeur général de Christie’s France, la maison de vente aux enchères qui a réalisé la toute première vente à succès d’une œuvre d’art numérique NFT…
Soixante-neuf millions de dollars. Un chiffre qui a attiré l’attention du monde entier. Si vous ignoriez l’existence de l’art numérique NFT avant ce coup d’éclat, vous en avez certainement entendu parler depuis.
Cette somme a été payée aux enchères pour Everydays: The First 5000 Days, une œuvre d’art NFT purement numérique créée par « Beeple », alias Mike Winkelmann, un graphiste et animateur américain. Et si ce montant faramineux vous a paru ahurissant, rassurez-vous : Christie’s, la maison de vente aux enchères internationale qui a réalisé la vente, a été tout aussi stupéfaite.
« Nous ne connaissions pas l’estimation officielle de ce NFT, car c’était le premier à être vendu aux enchères publiques, mais nous pensions qu’il pouvait atteindre un prix important qui servirait de référence sur ce marché », explique Julien Pradels, directeur général de Christie’s France.
« Mais plus nous approchions de la conclusion de la vente aux enchères, plus elle semblait prendre de la valeur. La veille de la vente, nous avions revu nos attentes à la hausse. Vous connaissez la suite ! Tout le monde a été surpris, mais c’est la preuve que les NFT suscitent un très fort intérêt. Pour moi, ce n’est que le début. »
B.a.-ba des NFT
Avant d’aller plus loin, il convient d’expliquer ce dont nous parlons. L’acronyme NFT signifie « non-fongible token » (jeton non fongible). Concrètement, qu’est-ce que cela veut dire ? Cela signifie que ce que vous possédez est unique et ne peut être remplacé par une autre version. En d’autres termes, il s’agit d’une édition unique.
Dans le domaine des beaux-arts « traditionnels », la non-fongibilité est une norme. Il n’existe qu’une seule Mona Lisa, car Léonard de Vinci n’en a peint qu’une seule. En revanche, l’art numérique est reproductible ; il suffit de cliquer sur « Enregistrer sous » dans Photoshop ou tout autre logiciel équivalent. Pour garantir le caractère unique d’une œuvre d’art numérique, il faut donc l’intégrer au code de la blockchain (par nature impossible à falsifier ou à modifier) qui accompagne le fichier JPEG de l’œuvre. L’acheteur de 5000 Days, Vignesh Sundaresan, possède ce code blockchain unique, ce qui fait de lui le propriétaire de l’œuvre.
Après avoir fait sensation dans le monde de l’art avec cette première et spectaculaire vente d’art numérique NFT, Christie’s a réalisé d’autres ventes impressionnantes, notamment un lot de neuf CryptoPunks, des images en NFT, pour près de 17 millions de dollars, soit pratiquement le double de leur estimation. Puis, en novembre, Christie’s a vendu Human One, une sculpture hybride NFT de Beeple, pour près de 29 millions de dollars.
Le réseau international de maisons de vente aux enchères de Christie’s a donc clôturé l’année avec un total de 150 millions de dollars de ventes d’art numérique NFT, en vendant une centaine d’œuvres d’art. Mais ce n’est pas tout, comme l’explique Julien.
« Ces ventes attirent des clients nouveaux et différents chez Christie’s. Cette clientèle plus jeune regroupe beaucoup de personnes ayant fait fortune dans les cryptomonnaies. On pouvait s’y attendre, étant donné la nature de l’art NFT. Mais ce qui est vraiment intéressant, c’est que maintenant qu’ils y ont pris goût, ils participent également à nos ventes traditionnelles de beaux-arts, mobilier, montres, bijoux et vins. Cela nous a donc permis d’élargir notre clientèle. »
« Ces ventes attirent des clients nouveaux et différents chez Christie’s. Cette clientèle plus jeune regroupe beaucoup de personnes ayant fait fortune dans les cryptomonnaies. On pouvait s’y attendre, étant donné la nature de l’art NFT. Mais ce qui est vraiment intéressant, c’est que maintenant qu’ils y ont pris goût, ils participent également à nos ventes traditionnelles de beaux-arts, mobilier, montres, bijoux et vins. »
Julien Pradels
Les artistes ne sont pas les seuls à se lancer dans la révolution des NFT. Certaines marques de luxe, comme Gucci, Louis Vuitton et Hublot, ont déjà utilisé la technologie blockchain comme outil de traçabilité de leurs produits haut de gamme. Par exemple, en associant un jeton unique sur la blockchain à un sac à main, ces marques et l’acheteur peuvent vérifier son authenticité.
« L’objectif est de créer des liens plus forts avec leurs clients, tout en ajoutant une nouvelle garantie d’authenticité sur un marché où les contrefaçons sont monnaie courante », ajoute Julien. « Cette démarche diffère de la notion actuelle de NFT, considérée comme une œuvre d’art numérique qui n’est généralement liée à aucun objet physique et qui suit son propre chemin.
« Très peu de produits de luxe sont vraiment uniques, mais le NFT qui leur est associé le sera ; c’est un point important en ce qui concerne la valeur d’investissement ainsi que le sentiment d’exclusivité. »
Dans le métavers
Cependant, le plus grand potentiel de l’art numérique et des produits de luxe pourrait bien se trouver dans ce que l’on appelle le « métavers », le monde en ligne que des titans de la technologie comme Mark Zuckerberg présentent comme un nouvel environnement virtuel.
« Nous achetons des sacs, montres, chaussures, etc., parce que nous voulons les porter dans le monde réel. Du coup, pourquoi ne pas avoir une version numérique, authentifiée par NFT, que nous pourrions porter dans le métavers ? », poursuit Julien.
« À mesure que le métavers se développe, ce monde parallèle pourrait également fournir aux acheteurs et aux collectionneurs un nouvel espace pour exposer et partager leurs collections d’œuvres d’art NFT. »
Il ajoute que Christie’s anticipe déjà cette tendance et a établi un partenariat avec OpenSea, le plus grand marché en ligne d’œuvres d’art NFT au monde.
Julien espère que les obstacles réglementaires locaux seront levés prochainement pour que Christie’s Paris puisse organiser des ventes d’art NFT. Mais en attendant, il nous fait part des prochaines ventes organisées dans d’autres succursales, notamment à New York et à Londres, où des œuvres d’art NFT seront présentées.
« Je pense que nous allons en apprendre beaucoup plus sur ce nouveau marché de l’art au cours de l’année 2022 », déclare-t-il. « Les noms qui se sont déjà imposés, comme Beeple, CryptoPunk, Bored Ape et Pak, sont à suivre avec intérêt. Mais ce marché évolue vraiment sans arrêt ; ce sera donc passionnant de voir les ventes se succéder tout au long de l’année. »
- Pour en savoir plus sur Christie’s Paris, visit the website
De l’hôtellerie cinq étoiles aux beaux-arts : la carrière non linéaire de Julien Pradels
Nous avons abordé la question de la carrière non linéaire dans de précédents articles, notamment avec Maud Bailly. Le parcours de Julien Pradels est lui aussi étonnant : il a gravi les échelons au sein de Four Seasons Hotels & Resorts avant de suivre une voie très différente, celle de la vente aux enchères chez Christie’s.
Qu’est-ce qui a motivé ce changement de carrière ? « J’ai adoré le secteur de l’hôtellerie ainsi que les personnes que j’ai eu la chance de rencontrer et avec lesquelles j’ai travaillé, mais je recherchais quelque chose de différent pour maintenir cette passion en moi », explique-t-il. « J’ai écouté mon instinct, même si je savais que j’allais entrer dans un secteur où je ne connaissais personne. Pourtant, après 12 ans de carrière au sein de Four Seasons, je bénéficiais de connexions solides et d’un grand respect de la part de gérants d’hôtels. Là, j’allais devoir tout reprendre à zéro dans un tout nouvel environnement. Je ne l’ai jamais regretté, car le secteur de l’hôtellerie a pour particularité de vous préparer à tout, et je continue à apprendre chaque jour. »
Bien que ses connaissances en matière de ventes aux enchères fussent limitées, Julien comprenait le fonctionnement des entreprises. En effet, il avait travaillé dans différents services, de réceptionniste au George V à directeur de la restauration, et avait géré un spa au Four Seasons Provence à Terre Blanche, avant de gravir les échelons pour devenir directeur d’hébergement.
« Les valeurs que j’ai apprises au sein de Four Seasons sont toujours d’actualité, et l’une d’entre elles est de traiter les autres comme on aimerait être traité soi-même. L’expérience client est quelque chose que nous mettons en avant dans l’hôtellerie, et que cela concerne vos clients externes ou internes, c’est-à-dire à vos employés, c’est un élément important, quel que soit le secteur dans lequel vous travaillez. »
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