Avant de rejoindre Glion en 2020, Jean-Marc Levrat a été tour à tour Directeur des opérations de Jorido Pacific, où il assurait la gestion de 27 restaurants et gérait 1500 employés, avant de rejoindre l’Université Royal Roads de Victoria au Canada en tant que chercheur et enseignant associé. Il a aussi travaillé à l’École Hôtelière de Montreux. Sa solide expérience du terrain et sa maîtrise des connaissances académiques lui permettent de guider au quotidien ses étudiants vers les sommets de l’excellence.
The Insider (TI) : Qu’est-ce qui vous a amené à la pédagogie ?
Jean-Marc Levrat (JML) : Cette thématique m’a toujours passionné. Lorsque j’avais en charge la gestion de 27 restaurants au Canada, mon intérêt pour la transmission du savoir n’a fait que s’accroître. J’ai pris pleinement conscience que sans les équipes qui nous entourent au quotidien et qui s’investissent, on ne fait rien. Alors j’ai eu la conviction qu’il était indispensable de leur offrir les outils nécessaires pour qu’ils puissent grandir et s’épanouir par eux-mêmes. Ainsi, j’ai pensé qu’il était pertinent de mettre à leur disposition les techniques et méthodes adéquates via une offre de formations adaptées. Les cours que j’ai créés ont été très appréciés, mais surtout leur utilité a été reconnue puisque la chaîne de restauration pour laquelle je travaillais a continué à les utiliser. Les restaurants que je dirigeais faisant partie de la restauration rapide, et beaucoup d’employés étaient peu ou pas formés. Il me semblait important de leur offrir les outils qui leur permettent de progresser et de gravir les échelons. La formation est un sujet essentiel. Elle souligne l’intérêt et le respect que vous avez pour vos employés. Elle montre que vous vous investissez pour vos salariés et sans elle, aujourd’hui plus encore, vous vous exposez à un turn-over très important.
The Insider (TI) : Quelle est votre approche pour mener vos étudiants vers l’excellence ?
Jean-Marc Levrat (JML) : L’enseignement est profondément en train de changer. Ces transformations résultent des attentes des étudiants de la génération Z. Elles et ils sont en attente d’interactions et d’échanges. Alors il est impératif de s’adapter et de se remettre en question pour parvenir à les intéresser et à capter leur attention. Ainsi, j’essaye de rendre mes cours les plus participatifs possible et de leur donner un côté ludique et pratique. Grâce à des outils comme Kahoot ou Menti, il est possible d’utiliser le digital et l’intelligence artificielle pour stimuler toujours plus leur motivation et leur esprit de compétition. Pour qu’ils prennent plaisir à étudier, je crois qu’il est important de varier les formats : cas pratique, travaux de groupe, sorties en dehors du campus, interventions de Guest lecturer. Soulignons également qu’à Glion, une attention particulière se porte sur les soft-skills. Un ensemble de compétences qui leur permettra de tirer leur épingle du jeu.
The Insider (TI) : Comment parvenez-vous à transmettre les hard-skills à vos étudiants ?
Jean-Marc Levrat (JML) : Mon domaine d’application est double. J’enseigne le F&B Management et le Talent Management. Premièrement, pour le F&B Management les étudiants doivent créer un business plan de A à Z. Des formalités administratives de création du restaurant jusqu’à l’élaboration de la psychologie du menu. Puis ils présentent leurs idées devant l’ensemble de leur classe. Je leur demande d’être aussi impliqué et convaincant que s’ils étaient face à de potentiels investisseurs. Pour les cours de Talent Management, ici aussi, les choses ont beaucoup évolué et on ne peut plus enseigner cette matière comme on le faisait il y a 5 ou 6 ans. Alors je suis très attentif à tous les articles et à toute la littérature qui traite de ce sujet. Dernièrement je lisais qu’en France il manque encore 200 000 personnes dans le secteur de la restauration et l’hôtellerie pour la saison estivale et 50 000 en Suisse. Si l’on se penche sur la situation du Canada, le « turn over rate » est de 250% ! Ce qui signifie que les employés ne restent pas plus de 3 à 5 mois au même poste. On en arrive à des situations ubuesques où de nombreuses entreprises offrent des cadeaux aux employés qui restent au moins 6 mois. Cependant, ce sont des solutions de surface qui ne règlent pas les problèmes de fond. C’est en s’attaquant frontalement à la question du bien-être au travail que l’on parvient à conserver les talents. La meilleure façon de donner envie à vos salariés de rester dans votre entreprise aujourd’hui, c’est en étant à leur écoute et en essayant de comprendre leurs aspirations.
The Insider (TI) : Selon vous, est-ce aux leaders d’aujourd’hui de s’adapter aux désirs des nouvelles générations ?
Jean-Marc Levrat (JML) : Je dirais que c’est aux deux parties de s’adapter. Dernièrement, je lisais qu’on devrait trouver le bon équilibre vers la fin 2025. Ce sont donc aux employeurs de prendre en considération les attentes des nouvelles générations. De penser à comment les stimuler et à comment leur donner envie de prendre part à la vie de l’entreprise. Il est important qu’ils donnent un but à leurs équipes, de leur permettre de continuer à apprendre et à avancer. Quant aux employés, si leur envie de sens et de sincérité est plus que justifiée, elles doivent tout de même comprendre qu’une entreprise répond nécessairement à des impératifs financiers.
The Insider (TI) : À Glion, observez-vous un changement aspirationnel de la part de vos étudiants ?
Jean-Marc Levrat (JML) : Bien évidemment, j’observe aussi chez nos étudiants un vif intérêt pour la question cruciale du juste équilibre entre vie privée et vie professionnelle. Ancrés dans le monde d’aujourd’hui, ils ont aussi besoin de transparence, de sincérité et de donner du sens à leurs actions. Qu’il s’agisse des Bachelor ou des Master, l’ensemble des jeunes gens qui nous rejoignent sont là pour réussir. Certains parlent de continuer leurs études, d’autres d’occuper des postes de direction dans des groupes hôteliers ou de luxe internationaux. Au-delà de ce qu’ils rêvent d’accomplir, j’essaye de leur donner les moyens de devenir plus que des leaders. À mes yeux il est essentiel de leur permettre qu’elles et ils soient les prescripteurs de demain. Ils doivent avoir la capacité de partager une vision novatrice et d’exercer une influence sur leur domaine d’action.
The Insider (TI) : Selon vous quelles sont les grandes tendances qui vont bousculer l’industrie ?
Jean-Marc Levrat (JML) : Je dirais qu’il y a deux grandes tendances : la personnalisation des services et bien évidemment l’éco-responsabilité. Remontons quelques années en arrière et souvenons-nous de l’expérience dans un hôtel ou dans un restaurant. Nous devions nous adapter aux offres proposées et n’avions pas, ou peu, notre mot à dire. Aujourd’hui les choses ont complètement changé. Tout doit être créé pour que le client puisse vivre sa propre expérience. Les marques repensent leur stratégie et modifient leur fonctionnement pour être en phase avec les attentes des consommateurs. Au-delà du produit, au-delà du service, les clients sont sensibles à l’impact de l’activité des entreprises sur la planète et à la façon dont sont traités les salariés. Bien plus que la recherche d’expériences plaisantes, les consommateurs sont en quête de sincérité et de valeurs.
The Insider (TI) : Quelles sont les qualités requises pour devenir un grand leader ?
Jean-Marc Levrat (JML) : Glion est très fort pour préparer ses étudiants à des carrières d’exception. Le savoir-faire de notre institution réside dans la connaissance du bon dosage entre connaissances académiques et pratiques. Il est essentiel que les talents de demain maîtrisent la théorie et possèdent une connaissance de la réalité du business. Peut-être que ce qu’ils vont découvrir sera différent, mais ils auront eu la chance d’avoir une première approche et ainsi de développer leur propre vision des choses.
The Insider (TI) : Que pensez-vous de la diversité culturelle de Glion ?
Jean-Marc Levrat (JML) : Pour les étudiants, c’est une expérience tout simplement géniale. Avoir la chance d’évoluer parmi des jeunes du monde entier, de grandir au quotidien avec eux et de s’enrichir mutuellement de leurs différences leur amènent une expérience qu’ils ne trouveraient pas ailleurs. Lors des travaux de groupe, une des parties qui est souvent la plus difficile est de parvenir à travailler tous ensemble et de se comprendre. C’est un apprentissage et la compréhension de l’autre est cruciale dans le monde d’aujourd’hui.