Parisienne et esthète, Corinne Delattre a officié plus de 30 ans à la communication de Cartier, LVMH, Kenzo… Pendant toute sa carrière, elle n’a eu de cesse de redéfinir le luxe et ses codes. Aujourd’hui, elle apporte un éclairage très raisonné sur ce qui fait l’exceptionnel et la rareté à l’ère de la mondialisation.
« Le luxe s’est mondialisé en 50 ans. Ce qui était local est devenu international par la gestion dans les grands groupes. Le goût est devenu global, les savoir-faire aussi. Aujourd’hui, il se consomme de la même manière de New York à Pékin. Dans les années 1970-80, le luxe est sorti de l’espace dans lequel il était confiné. Le premier à lui avoir donné une énergie nouvelle est sûrement Alain-Dominique Perrin – ancien président de la maison Cartier, vice-président du groupe Richemont et aujourd’hui président de la Fondation Cartier pour l’art contemporain – qui, grâce à la création des Must de Cartier, a permis au joaillier d’atteindre une clientèle plus en phase avec son époque. Comme l’a aussi très bien réussi plus tard Louis Vuitton. Certains ont appelé cela un peu péjorativement le masstige (mass + prestige). Il convient plutôt de l’appeler “coup de génie” qui a ouvert la voie au luxe d’aujourd’hui. Le luxe qui était “l’entre soi” a changé d’échelle. Les rois et les reines qui étaient l’élite absolue ont été remplacés par une autre aristocratie : les influenceurs, Jay-Z et Beyoncé. »
Un regard vif et curieux dénué de nostalgie
Ce constat, cette ancienne directrice de la communication, le dresse sans aucune nostalgie ni regret. Il s’agit juste d’un regard neutre qu’elle pose sur une tendance de fond.
« Le luxe est devenu tellement compliqué à définir. Le terme est galvaudé, car tout peut être luxe de nos jours : un t-shirt en coton comme un objet d’art.»
Parisienne depuis toujours, elle vit dans le Marais, cœur vibrant de la ville Lumière. Ce quartier très à la pointe est sa fenêtre ouverte sur le monde d’aujourd’hui. « Lorsque je vois ce qu’a fait Nikelab ou Suprême (dont deux boutiques se trouvent dans le 3eme arrondissement), je ne peux que constater que la définition du luxe s’est déplacée. Avant il s’inspirait de lui-même. Désormais, il se nourrit de la rue, de la street culture. Une paire de baskets, parce qu’elle est en série limitée et donc très désirable, ou 100% personnalisée, peut devenir luxe. »
Mais alors, qu’est-ce que le luxe au final ? « C’est une expérience, il suscite l’envie et le désir du plus grand nombre et n’appartient qu’à une petite clientèle inspirante qui donne le ton. » On comprend dès lors les multiples formes qu’il revêt. Ce qui est désirable pour les uns ne le sera pas pour les autres.
Pour Corinne Delattre, par exemple, ce qui est luxe est intrinsèquement lié « à l’artisanat, au temps passé, à la main et au génie de l’homme, à l’amour qu’on met dans l’objet. Le temps long rend obligatoirement les choses un peu rares. »
Mais n’oublions pas, rappelle-t-elle, qu’il « s’inscrit toujours en marge de la norme. C’est dans son ADN propre. Luxe vient de lumière, mais aussi de désaxé, déplacé. C’est ce qui n’est pas commun. »
« À mes yeux, le luxe est dans la simplicité, l’essence, le beau bois, le bon cuir. »
Du coup quand la norme change, le luxe s’adapte, il fait ce pas de côté pour être la singularité. Et cela s’observe beaucoup dans la gastronomie. «Lorsque j’étais jeune, les menus à rallonge avec des plats très gras, salés et sucrés étaient le luxe. Les produits industriels aussi dans une certaine mesure : le Nutella à sa sortie était exceptionnel. Aujourd’hui, le luxe s’inscrit en opposition avec ce qui est devenu la norme (très caloriques, sucré, compliqué) : c’est un légume oublié, sans pesticide, avec une noix de beurre de baratte. Côté objet, il est à mes yeux dans la simplicité, l’essence, le beau bois, le bon cuir. »
Le luxe serait ainsi un moyen de se rassurer. De construire sa singularité, et son identité, d’appartenir à un monde, de coller avec ses valeurs. Cette experte de la tendance ajoute : « Les marques sont devenues une nouvelle religion. Elles fédèrent, rassurent, enveloppent, dictent ce qu’il faut faire, porter, penser… Avec un leader (le directeur artistique) qu’on applaudit comme après un prêche à la fin du show. Des apôtres (les journalistes et les influenceurs) qui diffusent le “message”, un logo, une charte graphique, un uniforme… »
Une fois ceci posé quel est alors le summum du luxe pour cette femme qui vit en jean et adore le vintage “no label” ? « En 2022, il prend une forme radicalement différente. Le luxe c’est peut-être revenir à l’essentiel des choses : avoir du temps, respirer, réfléchir. Cette pandémie nous a obligés à ralentir et à nous recentrer sur l’essentiel : les petits luxes de la vie. Le luxe est aussi cet accès à la santé, cette capacité que nous avons en France à ce que tout le monde soit soigné de la même façon. »
Crédits :
Image principale : Sylvie Lancrenon
Jay-Z / Beyoncé : Photo de Gareth Cattermole / Getty Images pour Disney
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